
Lorsqu’on pense à la Jamaïque, on s’imagine de la violence, de la drogue, des rastas ou encore du bobsleigh… Le Québécois Nicolas Pelletier veut te faire voir une autre Jamaïque. En terminant sa maîtrise en journalisme international à l’Université Laval, il a eu envie d’aborder son métier un peu différemment. Let’s get lost in Jamaica! Grâce à une bourse, il séjourne donc depuis plusieurs mois dans cette ancienne colonie britannique, membre du Commonwealth tout comme le Canada. Son objectif est de témoigner d’une réalité qui transcende les stéréotypes, de porter sur la Jamaïque un regard neuf.

Tu peux suivre son expérience sur son blogue L’autre Jamaïque. Entrevue avec cet aventurier :
1. Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir la Jamaïque pour ton projet journalistique?
La vraie raison? Je voulais vivre sur une île!
Pour dire vrai, dans ma jeune carrière en journalisme, je m’intéresse beaucoup à la ruralité, un sujet que j’ai eu la chance d’explorer lors de stages en Europe (France), en Afrique de l’Ouest (Bénin) et au Québec avec l’émission La Semaine verte à Radio-Canada. Mais je n’avais jamais eu la chance de comprendre les défis de la vie paysanne sur une île, encore moins sur une île au passé colonial comme la Jamaïque.

L’inspiration m’est venue lors d’un échange étudiant en Californie, alors que mon prof de géographie était spécialiste de la Jamaïque et de l’agriculture. Il nous disait : «la campagne californienne est riche et productive, mais s’il y avait une catastrophe naturelle, les Jamaïcains s’en sortiraient mieux que nous, car ils connaissent mieux la terre en général». De fil en aiguille, cette curiosité pour le petit État insulaire des Caraïbes s’est transformée en volonté d’aller observer les choses de plus près!
2. Comment est-ce que tu t’es préparé avant ton voyage?
C’est en septembre 2014 que j’ai su que j’allais passer plusieurs mois en Jamaïque, lorsque j’ai remporté le concours annuel du Centre de recherche en développement international du Canada (CRDI), un concours de journalisme offert aux finissants du programme de maîtrise que je venais de compléter. Évidemment, je devais me préparer adéquatement (au niveau logistique et matériel) pour être capable de travailler à l’étranger et j’avais quelques mois pour y arriver.
J’ai donc lu des livres et des articles de nouvelles, regardé des documentaires, mais aussi rencontré des Jamaïcains vivant au Canada et établi des contacts avec des gens là-bas. Car découvrir un pays par les livres ou les films, c’est une chose, mais discuter avec des humains, ça ne se remplace pas.

Avant de prendre l’avion, je savais que je me rendais pour la première fois en Jamaïque, mais que je n’étais pas devant l’inconnu : je savais où j’allais résider durant mes premières semaines (grâce à l’ami d’une amie qui connaissait quelqu’un qui avait une chambre à louer, vous voyez le genre) et j’avais pris deux rendez-vous avant même de mettre le pied sur le sol caribéen, question d’avoir à briser la glace en arrivant!
3. Est-ce que ça s’est déroulé comme tu te l’imaginais?
Oui et non. Oui, car je n’ai pas eu de mauvaises surprises à mon arrivée et grâce à ma préparation sérieuse, j’avais quelques points de repère en arrivant. Non, parce que je ne m’imaginais pas du tout découvrir les lieux et le peuple que j’ai découverts là-bas!

D’ailleurs, mon sentiment qui résume le mieux cette situation concerne justement l’aspect humain de la découverte d’autrui et du voyage. C’est-à-dire que c’est beaucoup plus difficile pour moi de parler «des Jamaïcains» aujourd’hui que ce l’était avant mon départ.
Je pensais découvrir une culture, un peuple, une identité : j’ai été dupe, car comme partout ailleurs, j’avais sous-estimé à quel point les individus cherchent constamment à se distinguer, à se démarquer des autres. J’imaginais le Jamaïcain rasta, joint au bec, guitare à la main : Bob Marley, quoi!

Au contraire, comme les Québécois ou les Canadiens, il y a des Jamaïcains chauves, barbus ou glabres, des hommes et des femmes parfois sympathiques, parfois moins… autant de personnalités et de traits physiques que d’individus, comme partout ailleurs.
4. Pourquoi l’année 2015 serait-elle une année clé pour la Jamaïque?
À ce stade-ci, il est déjà possible de confirmer que 2015 est une année clé pour la Jamaïque!
70e anniversaire de Bob Marley

Sur le plan culturel d’abord, c’était en février le 70e anniversaire de naissance de Bob Marley, une occasion de célébrer le héros national à la hauteur du culte qui lui est voué (à Negril, la fête a duré six jours!).
Dépénalisation du cannabis
Quelques semaines plus tard, à Kingston, la capitale, le parlement décriminalisait le cannabis – la ganja – criminelle depuis 1913. Avis aux intéressés : ceci ne veut pas dire qu’il est légal de consommer de la marijuana en Jamaïque! Ce n’est pas le cas et la législation est maintenant plus rigoureuse pour les touristes que pour les citoyens jamaïcains.
Enfin, au mois d’avril, le président américain Barack Obama a lui-même décidé de venir en Jamaïque juste avant de se rendre au Sommet des Amériques au Panama. Visite de séduction pour des motifs politiques et économiques, mais qui révèlent, en filigrane, l’importance de la Jamaïque dans les Caraïbes en 2015.
5. Est-ce que les stéréotypes de violence et de drogue sont fondés?
Il faut relativiser la mauvaise réputation attribuée à la Jamaïque en ce qui concerne la drogue et la violence, mais une chose est certaine : les statistiques ne mentent pas. Il y a quelques années, la Jamaïque avait le taux d’homicide le plus élevé au monde, pire que dans plusieurs zones de guerres. Aujourd’hui, la criminalité violente a légèrement diminuée, mais les statistiques restent rebutantes.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les Jamaïcains que vous croisez dans la rue, en ville comme en campagne, ne sont pas violents à prime abord. Comme je dis à mes proches, je n’ai jamais vu de Jamaïcains se battre aux poings ou à l’arme blanche, que ce soit de jour ou de nuit. Par contre, des histoires de meurtres et d’exécutions diverses dans les journaux, j’en ai vu passer plusieurs.
Mais cette violence a un lieu, un nom et même une explication, car il s’agit en fait d’une conséquence à des problèmes beaucoup plus vastes. D’un côté, un trafic international allant d’Amérique latine aux États-Unis qui transite par Kingston, le plus grand port en eau profonde du bassin caribéen. De l’autre, un problème socioéconomique d’envergure : il n’y pas suffisamment d’emplois en campagne pour, entre autres, occuper les jeunes. Enfin, l’économie informelle (non-déclarée à l’État) compte pour environ 40 % du PIB jamaïcain.
Si la criminalité organisée et la violence extrême est une réalité dans la capitale, ce l’est moins pour le reste de l’île, davantage rurale et agricole.

Pour ce qui est de la drogue, la ganja est carrément un objet culturel dans tout le pays, elle qui pousse comme de la mauvaise herbe même dans les terreaux hostiles des régions les plus sèches. Elle est à peine considérée comme une drogue par les Jamaïcains, qui parleront plutôt de «pharmacopée». Du reste, de par la présence du trafic international mentionné ci-haut, la Jamaïque regorge de toutes sortes de produits illicites (drogues, armes, etc.) entraînant avec eux leur lot de violence et de misère, comme partout ailleurs.
6. Est-ce qu’on ressent l’esprit de Bob Marley partout?
Bob Marley est partout en Jamaïque, que ce soit en musique, en peinture ou en sculpture. Les Jamaïcains s’inspirent beaucoup de lui et de ses paroles de chanson, qu’ils récitent dans la vie de tous les jours. Bob Marley incarne les idéaux du rastafarisme (antimatérialisme, communion avec la nature, respect de son prochain, etc.) dans la réalité contemporaine. Il fait le pont entre les principes religieux, qui appartiennent à une autre époque, et la façon de vivre actuelle en Jamaïque. Grâce à lui, les expressions «one love», «stand up for your rights» ou «Africa unite» prennent forme et trouvent leur sens dans la réalité jamaïcaine : elles sont synonyme d’espoir et d’émancipation.

Petit bémol : comme pour Usain Bolt, la commercialisation autour du nom et du visage de Bob Marley est exagérée, voire abusive. Tant que ça se vendra, il y en aura!
7. Qui sont les Jamaïcains d’aujourd’hui et de demain?
Des danseurs et des chanteurs d’exception, ça c’est certain!
Mais en étant sérieux, c’est difficile à dire, car les jeunes ont des ambitions et des rêves d’aventure comme tous les jeunes, mais ils se résignent souvent, comme leurs ainés, à les abandonner.
La politique est élitiste, les inégalités sociales criantes. La société jamaïcaine est principalement gérée par les femmes (60 % des patrons sont des femmes), ce qui ne l’empêche pas d’être sexiste et homophobe. La campagne se vide de sa jeunesse au profit des villes et si, comme Usain Bolt ou Shelly-Ann Fraser-Pryce, on ne devient pas sprinteur de course, on est souvent condamné à vivre une vie au champ dans des conditions peu enviables. Durant un reportage, un fermier me disait : «Si tous les jeunes pouvaient avoir accès à un visa, vous n’en verriez plus un seul en Jamaïque».

Tout en m’efforçant encore de comprendre la portée de cette phrase, je me dis qu’il faut que je pense aux Jamaïcains de tous âges passionnés par la musique, qui elle reste accessible à tout un chacun. Que ce soit dans les petits studios d’enregistrement des quartiers populaires ou avec les grands de la musique qui viennent créer et enregistrer sur l’île, les Jamaïcains et les Jamaïcaines de demain continueront à vivre et à vibrer au rythme de la musique, ça c’est certain!
8. Qu’est-ce qui t’a le plus surpris pendant ton séjour en Jamaïque?
Les cours arrières des ménages jamaïcains, qu’ils appellent leur «yard» (c’est aussi un des surnoms de l’île) sont magnifiques. Les jardins sont fleuris et luxuriants, il y a toujours quelques légumes, arbres fruitiers ou plantes comestibles et, enfin, des animaux à profusion : chèvres (elles sont partout!), chiens, chats ou même poulets sont domestiqués ou élevés en famille. Car oui, dès leur jeune âge, les jeunes sont appelés à s’occuper du contenu de la yard et apprennent très tôt les rudiments de l’agriculture et du jardinage. Ce goût pour la beauté du paysage et cette relation privilégiée avec la nature leur reste pour la vie!
9. Quels sont tes coups de cœur en Jamaïque?

- Lifestyle : la cuisine jerk, pour les amateurs de piquant, c’est vraiment incroyable!
- Nature : voir des milliers de lucioles et des centaines de milliers de chauves-souris dans la jungle a été assez marquant.
- Culture : j’ai mentionné déjà les studios d’enregistrement de musique, petits et grands, mais les sound systems, ces lieux où se réunissent et s’exercent des artistes (appelés «DJ», «Selecters» ou «MC») portent en eux l’histoire mythique du ska, du rocksteady, du reggae et, aujourd’hui, du dancehall. D’ailleurs, en discutant avec des artistes locaux à Negril, j’ai même fini par tourner un vidéoclip, une expérience amusante et inoubliable…à refaire! Le vidéo clip à voir ici!)
- Bonus : finalement, sauter du haut des falaises – le «cliff diving» –, c’est trippant!
10. Quels conseils voudrais-tu donner à ceux qui aimeraient voyager en Jamaïque?

Sortez de la culture du tout-inclus lorsque vous allez dans les Caraïbes! La Jamaïque n’est qu’un exemple parmi d’autres de pays où il y a beaucoup plus à voir que du sable et des palmiers. Quittez votre chaise de plage une seule journée, vous serez agréablement surpris!
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