La Corée du Sud, mais pourquoi donc? Faisons un petit retour en arrière… Il y a trois ans, j’ai pris la décision la plus incohérente de toute ma vie. Durant un voyage de plusieurs mois au Canada, ma mère décède. Cancer diagnostiqué au stade terminal précipité par un AVC. Le chaos. L’incompréhension totale. Je suis perdue.
Au fond de moi une petite voix me crie : tu es désormais complètement libre! Plus personne ne s’inquiétera de ne pas avoir de mes nouvelles pendant trois semaines. Je suis libre.
Alors, je saute sur l’occasion pour partir loin. Je resserre rapidement sur l’Asie, que je ne connais pas.
Let’s get lost : S’enfuir de l’autre côté du globe

Je découvre qu’il y a un WHV (Working Holiday Visa) pour la Corée du Sud. J’ai beaucoup entendu parler de la Corée du Nord, jamais de la Corée du Sud. Alors, je décide que la Corée du Sud ce sera. J’ai des envies d’explorer, de défricher des terres exotiques et inconnues.
Quelque temps après le décès de ma mère, me voilà donc dans un avion. Je n’ai pas de billet de retour. Je veux aller au bout de la terre pour me (re)trouver : pour être seule, une personne neuve… sans background.
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Séoul la trépidante
Débarquer à Séoul en plein mois de janvier, ça caille! Arrivée à mon auberge, je suis déjà «lost in translation». Je suis descendue au mauvais arrêt de bus. Je me suis perdue avec mon backpack (trop lourd!) sans pouvoir réellement me faire comprendre pour demander mon chemin.
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La Coréenne qui m’accueille me propose de manger avec elle. Je rencontre Pravin, tout droit venu du Népal, pour compléter ses années d’internat en médecine. Il a une femme, deux enfants qu’il n’a pas vus depuis un an. Cette soirée-là, au fil de nos discussions, je comprends que nous ne sommes pas si différents. Des trentenaires qui cherchent leur voie et leur place dans la vie.
En deux semaines, je découvre le soju, le kimchi, les bibimbap et les fameux barbecues coréens avec les voyageurs qui croisent mon chemin dans les auberges de jeunesse.

Aaaaah, Séoul la contradictoire! À la fois empreinte de traditions séculaires au quotidien, à la fois innovante, bourdonnante même. I AM LOST. Mais, j’en veux encore plus! Je veux aller aux confins de mes propres limites.
Jeju Island : le bonheur est dans le pré
Je mets le cap sur Jeju Island, une île au sud du pays. À Seogwipo, je suis accueillie pour une expérience de Wwoofing dans une production d’orange familiale.
10h par jour, j’emballe des milliers d’oranges en vue du Nouvel An coréen. Le Hallabong, cette grosse orange, gorgée de jus et de sucre, typique de Jeju Island, est un cadeau de choix pour la nouvelle année. La Ajumma (le nom générique donné aux femmes âgées en Corée), la doyenne des travailleurs, me crie des instructions en coréen à longueur de journée! Let the adventure begin!

En pleine campagne, personne, même pas les plus jeunes, ne parle un mot anglais. Je partage ma chambre avec une dame venue de Mongolie, envoyée pour une mission d’évangélisation chrétienne. On se douche à l’eau froide dans une cabine dans le jardin (il fait 5°). On mange tous ensemble en famille avec tous les travailleurs. Let’s get lost a little bit more…
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La cérémonie de culte des ancêtres
Arrive Seollal, le Nouvel An, et je suis honorée de pouvoir vivre ce moment avec cette famille. On m’explique rapidement les codes : les vœux et l’allégeance aux plus anciens, ainsi que la cérémonie de culte des ancêtres. Je me mets une cinquantaine de fois à genoux dans la journée en témoignant mon respect à tous les plus anciens que moi.
S’ensuivent la cérémonie et le repas au domicile familial. J’apprends par cœur une litanie en coréen que nous allons entamer pendant que le doyen de la famille dispose savamment des offrandes. Je comprends tout à coup pourquoi il ne faut jamais planter ses baguettes dans son bol de riz. C’est donner à manger aux morts.
Frapper un mur

L’excitation de vivre un tel moment est vite balayée par un immense vide. La gorge nouée, la bouche sèche, les yeux pleins d’eau, je lutte pour ne pas fondre en larmes au milieu d’une telle dignité. Ma mère est là. Sa mère aussi. Je les imagine un instant m’observer toutes les deux et se demander ce que je leur raconte en coréen.
Puis tout à coup je réalise qu’elle est partie. Qu’elle ne m’attendra pas à la sortie de l’avion lorsque je rentrerai… Je comprends seulement à cet instant que cette fois-ci c’est définitif et irréversible. Elle ne sera plus là.
Alors je savoure cet instant de communion avec ces étrangers qui sont maintenant si proches de moi. Nous pensons chacun dans notre langue et à notre façon à nos êtres chers perdus.
Ce jour-là j’ai pu commencer mon deuil, parce que j’ai accepté la réalité de la perte d’un être cher. Mon coup de tête s’est finalement transformé en un véritable voyage initiatique. Pas de tout repos.

Partir faire son deuil en Asie était de loin l’idée la plus kamikaze que j’ai jamais eue. J’avais pourtant besoin de me perdre complètement pour retrouver du sens. Avec le recul, cette expérience m’a appris que l’on ne part pas en voyage pour devenir une autre personne ou laisser derrière soi ses peines. On part plutôt les affronter pour être capable de se renouveler, s’autoriser à être plus authentique et à évoluer, loin de nos repères et de notre confort douillet. On déconstruit pour mieux construire. Et ça, c’est la meilleure des raisons de se perdre en chemin.
« So, ladies and gentlemen, let’s get lost more! »
Quelle histoire émouvante. Très bien écrit.
Je me suis reconnue un peu (beaucoup) dans ton article.
Moi aussi, je suis partie sur un coup de tête en Corée du Sud. Une rupture amoureuse très compliquée qui m’avait bien retournée le cerveau. C’était en 2005. Je n’avais jamais pris l’avion, ni même déménagé de chez mes parents. Pourtant, j’ai demandé une bourse d’étude pour la Corée du Sud. Besoin inconscient de perdre tous mes repères pour me reconstruire. Et pour ça, vivre là-bas a été ce qu’il me fallait ! Ton dernier paragraphe décrit exactement l’effet que m’a fait mon séjour en Corée. J’ai découvert que j’avais des ressources en moi insoupçonnées, une capacité à m’adapter inconnue. Ce texte m’a replongé avec plaisir plusieurs années en arrière, même si mon séjour a été plus “cool”. Merci beaucoup.